Républicain, gauchiste (j’assume mon passé de mai 68), éduqué dans la religion catholique, je rencontre souvent, au cours de mes recherches, des curés de villages qui sont loin d’être des ignares ou des obscurantistes comme on le laisse croire trop souvent...
Voici un curé exemplaire de son époque vu par son successeur...
Naissance, études et premiers
emplois
Messire Jean Chalaust, prêtre, ancien curé de la parroisse
de la Haute Chapelle dont l’extrait mortuaire est cy
dessus, étoit originaire du village de Saint Vincent sous
Domfront, parroisse de Saint Front où il étoit né le vingt
neuf septembre mil six cent
quarante
cinquante neuf
et par conséquent mort agé de quatrevingt sept ans
et presque trois mois. Il avoit fait ses humanités au
collège de Ceaulcé, de là, il étoit allé à Paris étudier en
philosophie et théologie où il s’étoit fait maître es arts
et graduer. Il y fut environ dix ans précepteur des enfans
de monsieur Barentin, président du grand Conseil.
La prêtise et retour dans sa région natale
Il prit ensuitte le parti de l’église et fut prêtre à l’âge
de trente ans ou environ. De là il s’en vint travailler
en qualité de vicaire en la parroisse de St Front
sous la conduitte de Messire Jean Courteille alors prieur curé
de laditte parroisse et ensuitte fondateur du séminaire de la
Brière et de l’hopital de St Front. De la il s’en alla précepteur
des enfans de monsieur de Surlande, lieutenant général de
Domfront qui le fit ensuitte nommer à la cure de la Haute
Chapelle dont il prit possession au mois de may mil sept cent
un et la résigna à Messire Jean de St Ellier, originaire de la
parroisse de Ciral, proche Alençon alors professeur en philosophie
et prefet du collège royal et séminaire de Domfront lequel
en prit possession le grand dimanche du rosaire, premier
jour d’octobre mil sept cent trente et un.
Curé de la Haute-Chappelle
Ses oeuvres
On ne peut croire combien
Monsieur Chalaust a travaillé pendant sa vie. Il a été plusieurs
années à mission avec feu monsieur Bidois supérieur du séminaire
de Domfront où il passoit les journées au confessionnal. Il a consuit
sa parroisse pendant environ trente ans avec beaucoup de paix et
de douceur. Il avoit beaucoup de dévotion envers le St Sacrement où
il alloit souvent faire ses lectures et dire son bréviaire et c’est lui
qui a obtenu la permission de faire plusieurs saluts et expoisitions
du St Sacrement aux fêtes de la Ste Vierge aux principales fêtes de
l’année et de dire la messe du St Sacrement tous les jeudy. Il n’avoit
pas moins de dévotion envers la Ste Vierge, c’est pour cela qu’il
a fait établir la confrairie du St Rosaire et donné le pré du
Boistillard pour la doter. Il étoit très assidu au confessional où il
auroit passé les nuits après les jours sans se plaindre jamais
d’être fatigué, outre les prônes des fêtes et dimanches où il
ne manquoit jamais. Il faisoit encore ces jours-là plusieurs
exhortations ou lectures édifiantes. Il tenoit régulièrement les
petites écoles tous les jours où il apprenoit aux enfans à prier
Dieu, à lire, à écrire, à chanter des cantiques, à répondre
la messe. Il faisoit de même le cathéchisme aux enfans,
leur apprenoit à prier Dieu et à chanter des cantiques.
S’il n’étoit occupé à l’église, il travailloit de ses mains à des
ouvrages pénibles et étoit toujours en action. Il étoit très
charitable envers les pauvres, de façon qu’il ne reservoit rien,
quoiqu’il fut parvenu çà un âge fort avancé1, il étoit toujours
le même, se portant toujours assés bien et même sans avoir
aucunne des incommodités de la vieillesse. Il étoit très sobre
en le boire et le manger. Il ne déjeunoit jamais à moins
qu’il ne se trouvoit incommodé ce qui lui arrivoit rarement.
Il jeûnoit les carêmes entiers et les autres jeûnes de l’année
quoiqu’on lui dit qu’il n’étoit pas obligé de le faire à son
âge. C’étoit lui qui disoit toujours la grande messe et vêpres
tous les dimanches et fêtes de l’année. Il étoit du naturel
doux et affable, d’une petite taille, d’un tempérament sec,
délicat en apparence mais cependant très robuste et
promettoit encore plusieurs années à vivre, mais un accident
des plus surprenent et dont on n’a peut-être pas d’exemple,
a terminé sa vie comme il ensuit :
Son trépas extraordinaire
Le vingt quatrieme
jour de décembre, vigile de Noël, il partit du prébytère
sur les neuf heures et demies du soir pour aller faire l’office
de minuit. Il prit en sa main une lanterne allumée quoi
qu’il fit un très beau clair de lune et qu’on lui dit qu’il
ne fallut point de lanterne à cause de la clarté de la lune.
Étant arrivé à l’église, il alla à confesse, officier au cœur,
chanter la grande messe de minuit, donner la communion
à quelques personnes et se mit ensuite à faire son
action de grâces. Pendant ce tems là les prêtres et
le peuple s’en allèrent. Il ne resta à l’église que
peu de personnes lorsqu’il partit pour s’en retourner
au prébytère. Le sacriste et son fils avec une autre personne
sortirent avec lui pour le reconduire. Il avoit comme en
allant une lanterne allumée quoiqu’il fit fort clair de lune,
un tems très doux et très calme.Quand on l’eût conduit
jusqu’au portail du prébytère, il dit aux trois personnes qui
l’accompagnoient : « Mes amis, allés vous en, me voilà chez moy. »
Ils le quittèrent lorsqu’il fut entré dans la cour, au lieu
de suivre le chemin du prébytère, il alla heurtyer des pierres
qui sont sur le bord de la douve et tomba dans l’eau où il
fut noyé sans que personne en entendit rien. On envoia
du prébytère le chercher à l’église qu’on trouva fermée et
dont il avoit pris les clefs et on rapporta qu’il étoit allé
en sa maison de Baujour où il avoit une chambre garnie
où il alloit très souvent de jour et de nuit et où il couchoit
quelquefois quand il étoit trop tard de s ’en revenir. Ce qui
donna lieu de croire cette conjecture est qu’il avoit des provisions
en la ditte maison de Baujour dont il donnoit à ses parens.
On s’imagina qu’il étoit allé leur donner à réveillonner et qu’il
alloit s’en revenir. Sur cela,chacun alla se coucher au préby-
-tère mais on fut bien surpris le jour de noël à un quart
moins de huit heures du matin, un domestique du bourg
qui alla faire boire son cheval à la douve, l’apperçut
par les habits qui nageoient sur l’eau. On a cru
que portant sa lanterne, il ne regardoit qu’à ses pieds
sans prendre de ligne de direction que celle qui alloit
vers la douve, que le clair de lune faisoit parroitre
comme une place droite et unie, il se lança dedans
croiant être un beau chemin2, ou bien que trébuchant
contre des pierres qui sont sur le bord, il étoit tombé
la tête la première dans l’eau qui le navra si fort
qu’il ne put crier, ny faire de grands mouvemens
à cause de la foiblesse que lui causoit son grand âge.
Quoique cet accident soit des plus facheux, la manière
édifiante avec laquelle il a vécu, le zèle qu’il a
toujours fait parroitre pour la gloire de Dieu, le soin
qu’il a eu de bien décorer les saints autels et l’église, les
ornemens qu’il y a ou donnés ou procurés, la dévotion
qu’il a introduitte dans la parroisse par les confrairies,
l’exposition du st sacrement, la fréquentation des sacremens,
les instructions, les exhortations, les exemples, en un
mot les sacremens de pénitence et d’eucharistie qu’il
venoit de recevoir quand il a été noyé, nous donnent
lieu de croire que le seigneur lui a voulu épargner
les horreurs de la mort qu’il a subie sans la sentir
et qu’il a couronné ou couronnera ses bonnes
œuvres. Le présent écrit et attesté véritable par nous
Jean de St Ellier, prêtre, curé de de la Haute-Chapelle,
doyen rural de Passais en Normandie et official
du Mans au siège de Domfront, ce vingt sixième
jour de décembre mil sept cent quanrante six. Un
mot rayé nul approuvé. J de St Ellier, curé de la Haute
Chapelle, doyen, official
Autant3 du présent déposé au greffe du baillage
à Domfront ce 9 janvier 17474
Notes
_____________________________
1Si l’on en juge par diverses notes, son successeur fut plus intéressé par son confort personnel (aménagement du presbytère, d’un nouveau pressoir, etc)
2Son successeur fit de grand travaux aux presbytère en 1746 comme il le relate dans les pages qui suivent cet acte. Il ne semble guère avoir apprécié l’état du presbytère tel que l’a laissé Jean Chalaust.
3Autant = Copie (usage local)
4 La Haute Chapelle AD61 EDPT32_24 vue 153
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